SALVETERRE Roman en français (2007) chanson extraite du roman |
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Salveterre! En ma tête ce nom résonne, sinistre, lugubre comme
un glas… Quel fut le guide mal intentionné qui m’y dirigea? Si c’est
toi, Seigneur, je me plie à ta volonté, mais qu’avais-je fait
pour mériter ton courroux? Salveterre! Parce qu’il est des lieux que le doigt de Dieu semble ne jamais avoir touchés, tant ils paraissent désolés… Si désolés, en fait, que sans peine on les croirait inachevés. Inaccomplis comme des brouillons de Création, comme de mauvaises copies bâclées par d’ignobles apprentis sorciers ou par un sinistre faussaire qui, rouge de honte, les aurait dissimulées afin d’éviter railleries et quolibets… Salveterre! Parce qu’au voyageur découvrant cette terre, il est sans doute permis de se poser la question sacrilège de l’existence même d’un Dieu créateur bon et plein d’amour: s’Il est vraiment, comment a-t-Il pu permettre qu’une telle chose fût? N’était-ce point une verrue sur sa main donatrice de vie? N’était-ce point la négation même de la Bonté divine? Et ne croyez pas que je veuille noircir à dessein le tableau, par haine ou par dépit! Les pierres se mêlaient aux pierres, la poussière à la poussière, le vent au vent… Mais qui était là avant? Les pierres ou les corbeaux? La misère ou le dénuement? Ici, les pierres étaient si dures qu’on les aurait dites faites de fer, faites de mort. Et les oiseaux étaient si maigres qu’à les voir ils donnaient l’impression de n’être que des ombres nées de l’orage, nées du vide et du désespoir… Quelques maigres champs qui ne devaient pas produire grand-chose et, plus loin, quelques arbres formant ce qu’on aurait difficilement pu appeler une forêt, voilà bien toute la végétation qu’on pouvait voir… Quelques chaumières, çà et là, disséminées dans la campagne, quelques maisons agglutinées dans la rocaille, resserrées autour d’un point d’eau, tout au plus quelques taudis branlants balayés par un vent aigre et déroutant, voilà bien tout le village! Tout cela n’était pas très engageant, et je dois dire que, bien qu’ayant vu bien des misères au cours du voyage qui m’avait mené jusqu’ici, j’en avais rarement vu d’aussi pitoyables. On avait bien bâti une église, mais elle n’était pas très grande et, apparemment, elle n’avait pas très bien résisté aux outrages du temps. J’appris plus tard qu’elle servait pour l’ordinaire mais, pour les fêtes et les messes importantes, les villageois allaient prier à la chapelle du château, un peu plus loin sur la butte. Car le château, vu de loin, était bien la seule demeure digne de ce nom à Salveterre. Le seul édifice, visiblement, à être entretenu. À l’entrée nord subsistait un panneau de bois portant le nom de l’endroit comme une gifle d’ironie: j’appris plus tard que les habitants, heureux d’avoir été épargnés par une épidémie mortelle, avaient jadis rebaptisé «Salveterre» ce village qui avait aussi porté autrefois le nom de «Saint Jean». Mais à quoi bon? Ce sursis était-il vraiment une bénédiction? Au fond, qu’est-ce qui avait été réellement sauvé? Certainement pas un lieu de rêve… D’ailleurs, peut-être eût-il mieux valu que cet endroit fût à jamais effacé de la surface du globe: que de larmes eussent été évitées !… Moi, j’arrivais de très loin, en ce printemps 1210; déjà plusieurs mois d’un voyage interminable dont j’entrevoyais désormais presque la fin. Je ne cherchais qu’un toit pour la nuit, juste le temps de me restaurer, avant de repartir vers le pays où mon père avait vu le jour, non loin de là. Debout près de mon cheval harassé par tant de route, je regardais dans l’air déjà chaud et écrasant de cette fin d’après-midi la silhouette peu engageante de ces maisons. Quelques foulées encore, et je pourrais me reposer: - Il doit quand même bien y avoir une auberge dans ce trou, ou au moins une grange, pensai-je au moment d’enfourcher pour la dernière fois de la journée mon cheval qui devait sans doute rêver d’on ne sait quelle écurie princière… Je pensais seulement à me reposer pour la nuit avant de reprendre ma route. Nous fixâmes tous deux encore un instant ce village que nous distinguions dans le soir naissant. De toute façon, je me disais que j’avais dû connaître bien pire au cours du long périple qu’avait été toute ma vie jusqu’alors, depuis ma naissance à l’autre bout de la Méditerranée jusqu’à mon arrivée en ces lieux… Moi qui avais connu les tentes, les grottes, moi qui avais passé tant de nuits à la belle étoile, de Terre Sainte jusqu’ici, je n’allais tout de même pas être rebuté par un village qui, si miséreux qu’il me semblât, était une des dernières étapes vers le but de mon voyage. Car il ne me restait pas beaucoup de chemin à parcourir, peut-être encore deux ou trois jours, tout au plus. Je touchais au but… Je remontai donc sur mon coursier, puis je me dirigeai vers les maisons que désormais le soir enveloppait de la fraîcheur coutumière que mon père avait emportée dans ses souvenirs et dont il avait tant parlé. Sans aucun ordre de son cavalier, la monture s’était mise en route pour couvrir plus rapidement la distance: la bête elle aussi avait certainement envie d’en finir au plus vite avec cette journée épuisante. À mi-chemin, nous fûmes rejoints par un petit chien blanc, tout maigre, qui venait à notre rencontre en aboyant comme pour nous accueillir et nous faire la fête. Il aboya ainsi maintes fois, au grand dam du cheval que je dus m’efforcer de calmer à plusieurs reprises, puis il fila jusqu’au village comme pour annoncer à tous l’arrivée de ces étrangers que nous étions alors. |
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