CONTRE LES FAUX PASTEURS
des troubadours à Pétrarque
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Illustracion: Gwenaël JACQUET
INTRODUCTION

Voici un chevalier, paré d’or et de pierres précieuses. Il porte beau, il semble fier, arrogant, conquérant. Sur son élégant manteau, on distingue les clefs de saint Pierre, et par cela il montre qui l’envoie guerroyer: il obéit à l’Église de Rome, il dit se battre pour Dieu.

Face à lui est un autre chevalier, humble, aux couleurs sang et or. Sur son modeste blason, on peut voir une plume, instrument de l’écriture et de la poésie, ainsi que la croix des comtes de Toulouse, symbole de l’ardente et farouche résistance au nom du Droit, au nom de l’Équité. Entre la plume et la croix se dresse le glaive de la Divine  Justice. Car ce chevalier est le véritable champion de Dieu.

Ainsi serait-il possible, en quelques coups de crayon, d’illustrer - sinon de résumer - l’objet de notre étude: la poésie, au nom de Dieu et de sa Loi bafouée, lutte contre les excès d’un clergé fourvoyé. C’est Guilhèm FIGUIERA qui s’en prend à Rome dans une terrible diatribe, c’est Dante ALIGHIERI qui voue certains papes à l’enfer, c’est Jacopone da TODI qui provoque Boniface VIII:

«Puoi, se te vol’provare
e meco essercetare,
non de questa materia
ma d’altro modo prelia.
Si tu sai sì schirmire
che mi sacci ferire
tengo te bene esperto,
se mi fieri a scoperto:
c’aio dui scudi a collo,
e s’io no i me ne tollo,
per secula infinita
mai non temo ferita.»

Une question pourrait se poser, avant d’amorcer cette étude des attaques contre le clergé: dans une recherche sur des oeuvres poétiques - recherche a priori exclusivement littéraire: peut-on (ou doit-on) s’intéresser à des thèmes religieux ou concernant la religion? D’aucuns ont déjà montré en maintes occasions l’importance et la valeur de certaines compositions à caractère politique ou historique. Mais le côté religieux, il faut bien le dire, a souvent été délaissé. Et c’est là, sans aucun doute, une lacune considérable. Ecoutons à ce propos Jean CHELINI:

«L’histoire du Moyen-Age, en particulier, deviendrait incompréhensible si l’on voulait en écarter les aspects religieux.»

L’histoire du Moyen-Age ne peut faire fi des aspects religieux car ils sont incontestablement liés très étroitement aux autres aspects, et les négliger constituerait à n’en pas douter une grave mutilation du patrimoine européen (francais, italien et occitan avant tout), auquel on ôterait certaines de ses pages essentielles.

Or, qu’arive-t-il si nous nous intéressons aux nombreuses études portant sur la poésie médiévale? Il n’est nul besoin de s’appesantir sur la question pour s’apercevoir que le thème des invectives anti﷓cléricales est un champ d’investigations étonnamment peu exploré par la critique. Pourquoi ces zones d’ombre? Pourquoi ne peut-on trouver d’éléments d’une réelle importance que dans des ouvrages  traitant de sujets plus larges?

Les traces les plus visibles d’une recherche (ou de quelque embryon de recherche) dans ce domaine se retrouvent principalement dans des Histoires Littéraires (CAMPROUX, JEANROY, ou LAFONT & ANATOLE) , une analyse plus vaste (Suzanne THIOLIER-MEJEAN) , un recueil de textes (René NELLI)  et des articles allemands d’ailleurs fort opportunément cités par Suzanne THIOLIER-MEJEAN . Et encore, tout ne nous intéressera pas dans ces ouvrages (dans celui de Madame THIOLIER-MEJEAN, qui est la seule véritable oeuvre critique à notre disposition, pour qui s’en tiendrait strictement au libellé de notre sujet, seules les pages 340 à 360 seraient pertinentes, ce qui est bien peu) .

D’autres ouvrages encore présentent quelques éiéments intéressants, mais noyés dans des thèmes plus larges, moraux ou politiques concernant toute la société. Parmi ces ouvrages se rangent notamment La vielle et l’épée, de Martin AURELL  et Burlesque et Obscénité chez les troubadours, de Pierre BEC.  L’absence quasi totale d’ouvrages critiques est certes un handicap sur le chemin de la facile compilation, mais elle représente plutôt à nos yeux, la garantie d’une recherche menant vers une vraie découverte ﷓ aussi modeste soit-elle ﷓, et donc plus intéressante pour le chercheur ainsi que (il faut l’espérer!) pour son auditoire. Quoi qu’il en soit, cette pénurie d’ouvrages traitant de la question étudiée impose une stratégie - qui est loin de nous déplaire - qui consiste à «aller aux sources», c’est-à-dire à partir, avant toute chose, des textes.

CHOIX DES AUTEURS À CONSIDÉRER

Se pose alors le choix des auteurs à retenir comme pertinents à la présente étude. Pour cela, revenons à l’idée qui en fut à la base. Le point de départ est sans nul doute le rapprochement entre les textes de Dante et la célèbre diatribe contre ROME décochée par Guilhèm FIGUIERA  : attaques semblables par leur virulence autant que par les faits reprochés. Cette première remarque établissant un rapport entre un auteur occitan et un auteur italien amène une seconde remarque préliminaire: la poésie courtoise nous ayant déjà montré qu’il était difficile ﷓ et même souvent impossible ﷓ de dissocier la poésie médiévale occitane de celle italienne, il semble évident que le même jugement devra s’appliquer aux invectives contre le clergé; il suffirait de lire quelques pièces pour s’en convaincre.

Nous considèrerons donc dans notre étude les poètes occitans et les poètes italiens, sans préjuger d’une possible filiation ou de l’existence des sources communes. À côté de Guilhèm FIGUIERA, déjà mentionné comme point de départ, d’autres voix se sont élevées dans le même sens: Bernart SICART DE MARVEJOLS, Raimon de CORNET ou bien encore Cerverí de GIRONA. Mais une figure emblématique s’impose indiscutablement : Pèire CARDENAL. Voilà pour quelques-uns des plus connus parmi les auteurs en langue d’oc.

Du côté italien, les poètes concernés sont sans doute moins nombreux, mais ils sont souvent plus directement engagés, beaucoup des faits reprochés ayant pour cadre le sol italien (le Siège Apostolique de ROME constitue une cible privilégiée). L’engagement est souvent personnel et violent. Ainsi, Jacopone da TODI eut de graves démêlés avec la Papauté, il nous en a laissé un vibrant témoignage. Quant à Dante, il sera l’auteur le plus présent dans cette recherche, surtout avec la Divine Comédie, mais aussi avec d’autres écrits pouvant compléter les thèses exprimées poétiquement.

Reste, pour les Italiens, le cas de Francesco PETRARCA, lié au séjour en AVIGNON. Il faudra, cassant l’image trop souvent répandue d’un auteur de poésies amoureuses, lui appliquer le point de vue qui s’applique déjà aux troubadours : la passion éthérée n’est pas tout, elle se double de vers virulents qui sont l’expression d’un âpre ressentiment à l’égard de la cour pontificale vauclusienne.

Et les Français? Madame THIOLIER-MEJEAN écarte les trouvères en affirmant que le traitement de la question n’est pas le même chez eux. Pour notre part, nous éviterons des propos aussi catégoriques, car ils ne sont certainement pas valables pour des auteurs comme Hue de SAINT﷓QUENTIN, Thibaut de CHAMPAGNE et RUTEBEUF . Cependant, il est clair que la matière – ne serait-ce que pour des raisons historiques est nettement plus abondante en occitan et en italien, langues auxquelles nous nous tiendrons, quelques vers français étant cités éventuellement au titre de complément d’information.

L’ÉPOQUE RETENUE

Il convient de définir précisément la période à envisager au cours de la présente étude. Cette période commencera tout naturellement avec les premiers troubadours, c’est-à-dire au XIème siècle, car ce n’est qu’à partir de ce moment-là qu’il est réellement possible de parler d’une littérature en langue dite « vulgaire ».

Le terme sera le milieu du XIVème siècle, ce qui correspond à l’époque de PÉTRARQUE. Plusieurs raisons sont à prendre en compte pour le choix de cette limite dans le temps. D’abord, côté occitan, cette date permet de dépasser non seulement ce qu’il est convenu d’appeler « l’âge d’or », mais aussi le « siècle de combat », époque fatale et funeste qui, avec la Croisade contre les Albigeois, marque la fin d’une civilisation et le début d’un asservissement à d’autres valeurs. La première partie du XIVème siècle voit briller les derniers feux de la contestation occitane médiévale.

Côté italien, le poète qui domine est sans conteste Dante ALIGHIERI (l265-l32l), et le XIVème siècle constitue un des moments les plus forts – sinon l’apogée – de la littérature italienne, avec trois de ses auteurs majeurs : DANTE, PÉTRARQUE et BOCCACE . Les balbutiements troubadouresques de l’École Sicilienne sont déjà bien loin, de même d’ailleurs que le Dolce Stil Nuovo de Guido GUINIZZELLI.

Dans les deux cas, nous nous trouvons donc à une période clé de la littérature : fin d’une époque en-deçà des Alpes, acquisition de lettres de noblesse universelle au-delà. Sans oublier que PÉTRARQUE, le dernier auteur considéré chronologiquement, a eu des relations étroites avec la Provence, passant une partie de sa vie sur cette terre de troubadours qui était alors terre pontificale.

La période retenue pour cette étude est également importante d’un point de vue politique et social, car une profonde mutation s’y opère : elle commence avec la féodalité et évolue, à travers de graves crises, jusqu’aux portes de la Renaissance qui éblouira l’Europe depuis la cour des MÉDICIS. Cette mutation de la société s’accompagne par ailleurs d’une crise religieuse qui prépare, lentement mais sûrement, la Réforme (où seront reprises et reformulées bien des critiques présentes sous la plume des auteurs médiévaux).


LE GENRE LITTÉRAIRE ÉTUDIÉ : LA POÉSIE

Pourquoi ne considérer que les poètes ? Ce choix exclusif peut paraître arbitraire. Mais il n’en est rien. Il faut avant tout tenir compte du fait que les auteurs de l’époque considérée sont surtout des poètes, la prose littéraire n’ayant pas encore droit de cité : on ne peut pas parler de production littéraire en prose chez les Occitans, cela est certain, et en Italie, en dehors de la prose religieuse et de nouvelles, nous pourrions presque avancer la même conclusion. Mais il existe deux exceptions notables: Dante ALIGHIERI et BOCCACE .

Pour Dante, il est clair que le Convivio et le traité de la Monarchia complètent la Divine Comédie et en sont indissociables : l’auteur florentin y théorise ce qu’il présente ailleurs sous une enveloppe poétique. Chez BOCCACE, les attaques contre les religieux sont fréquentes dans le Decameron (l349-l353). Ces attaques sont présentées dans un style différent, et c’est pourquoi nous les laisserons de côté pour notre étude. Cependant, elles peuvent apporter un éclairage supplémentaire à certains points, et le lecteur intéressé pourra se reporter à la fin de ce travail, où quelques exemples sont donnés en annexe .

En clair, nous nous limiterons aux poètes, sans renoncer à quelques citations de leur prose ou de la prose d’auteurs contemporains (prose religieuse ou strictement littéraire) lorsque certains passages pourront apporter un utile complément.


LITTÉRATURE ET HISTOIRE

Il apparaît, dès la première approche, qu’il ne faudra pas nous cantonner à un travail purement littéraire, dans le droit fil des histoires littéraires, des analyses ou des recueils de textes cités plus haut. En effet, toutes les critiques anticléricales qui nous intéressent sont liées, plus ou moins étroitement, à une réalité historique, à des faits établis ou à une situation précise. Il conviendra donc, chaque fois que cela sera possible, de dépasser le premier stade –littéraire – pour essayer de cerner les liens entre les critiques exprimées et la réalité, ainsi que le bien-fondé des reproches adressés.

Nous estimerons que notre but sera atteint dès lors que, ayant levé le voile qui recouvrait une partie de notre littérature médiévale, nous aurons donné envie au lecteur de poursuivre nos investigations dans d’autres genres littéraires ainsi que dans les époques successives, et pourquoi pas jusqu’à nos jours.

Et quand bien même notre travail, aux yeux du lecteur, ne servirait qu’à enlever son caractère souvent confidentiel au sujet traité, cela serait déjà très important.
 



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